Hier devait avoir lieu au tribunal correctionnel de Paris la première confrontation sur l'une des plaintes en diffamation publique déposées par Jean-Noël Guérini contre Arnaud Montebourg. Le litige porte sur la fameuse lettre que le second avait adressée en mars 2011 à Martine Aubry pour y dénoncer les dysfonctionnements de la fédération PS des Bouches-du-Rhône. Cette lettre contenait des pièces issues du dossier d'instruction dans lequel Jean-Noël Guérini avait été mis en examen pour prise illégale d'intérêts, trafic d'influence et association de malfaiteurs dans une affaire de marchés publics.
L'avocat de Jean-Noël Guérini a demandé d'attendre un peu afin de voir si son client est mis hors de cause ou condamné et d'examiner ensuite cette affaire de diffamation. Le procès a été reporté et le tribunal dira le 30 octobre ce qu'il entend faire. En cas de rejet de la demande de Jean-Noël Guérini, le procès aura lieu assez vite. Dans le cas contraire, il faudra sans doute patienter aussi longtemps que le cas Guérini n'aura pas été réglé.
Mais, l'objet de mon article du jour n'est pas précisément ce nouvel élément servi tout chaud par l'actualité. Non, il s'agit de revenir sur une autre part d'ombre concernant l'office HLM du département. Depuis juillet, ce dernier a recruté un nouveau directeur, qui n'est pas un inconnu quelconque.
Le Ravi de l'été a publié en collaboration avec Mediapart un bel article bien fouillé sur les dessous de cette embauche et la personnalité du directeur.
A cette occasion, le Ravi m'a sollicité à plusieurs reprises au sujet d'une drôle d'affaire qui s'est passée à Aix. Je vous invite donc à lire l'article… jusqu'au bout. Edifiant.
Le système Guérini bouge encore
Gérard Lafont, architecte qui a fait toute sa carrière dans le sillage de Jean-Noël Guérini, a pris le 2 juillet la direction de 13 Habitat, l'office HLM des Bouches-du-Rhône au cœur du système clientéliste de la fratrie Guérini. Et l'office a désormais deux directeurs !
"Après les législatives retour aux activités plus traditionnelles et retour aux affaires pour moi à 13 Habitat." Ce tweet du 21 juin prouve que Christophe Masse, qui préside l’office HLM des Bouches-du-Rhône, a gardé, malgré sa courte défaite aux législatives face à l’UMP Valérie Boyer, son sens de l'humour. Voire du lapsus...
Après avoir été démentie, l'arrivée le 2 juillet de Gérard Lafont à la direction générale de 13 Habitat va en effet rapidement replonger Christophe Masse, élu municipal PS et vice-président du département, dans les "affaires". Au même titre que sa propre nomination en juin 2011 à la présidence, celle de Gérard Lafont à la direction générale alimente la suspicion d'une volonté des Guérini de garder la mainmise sur l'office. Héritier d'une vieille famille socialiste marseillaise, Christophe Masse est un des rares conseillers généraux à afficher ouvertement son soutien à Jean-Noël Guérini. Interrogé, il répond avec candeur que "le poste de directeur est éminemment politique, avec un grand P..., ne me comprenez pas mal."
Ancien de la maison – du temps où elle s’appelait Opac Sud –, Gérard Lafont a fait carrière dans le sillage de Jean-Noël et Alexandre Guérini, tous deux mis en examen pour "association de malfaiteurs" dans l'affaire qui porte leur nom. Cet architecte n'a toutefois jamais été mis en cause, ni même entendu, dans cette enquête sur des marchés publics truqués. "Ce qui m'intéresse, c'est le travail, et j'ai la conscience tranquille, cette affaire ne me concerne absolument pas", balaie-t-il. Entré en 1975 à l’Opac Sud pour y créer un bureau d'études interne, il y reste vingt-six ans avant de suivre Jean-Noël Guérini, qui préside alors l'office depuis 1987, au conseil général. Directeur des travaux à l’ex-Opac Sud, Gérard Lafont part en 2001 prendre la tête de la construction au CG13, deux services stratégiques.
"Il fait partie de l’équipe de confiance de la famille Guérini d’un point de vue professionnel", résume Pierre Garnier, lui aussi architecte et prédécesseur de Gérard Lafont au CG13. "C'est le propre des “voyous” de s'entourer de gens honnêtes pour faire barrage", lance, en plaisantant, Gérard Lafont.
"Pourquoi le changer de poste en pleine enquête judiciaire ?" s'interroge de son côté un protagoniste du "Guérinigate". L'office HLM du département est en effet au cœur du système clientéliste de la fratrie mis au jour par le juge Duchaine. Il fait aussi partie de l’histoire familiale. Le père Guérini y a achevé sa vie professionnelle, Jean-Noël en a fait le tremplin de sa carrière politique et son frère Alexandre y décrochera ses premiers contrats d’entrepreneur ès poubelles. "Pour les Guérini, (avec 13 Habitat) on peut parler d’accumulation primitive du capital", rigole un architecte. Pour nombre d’acteurs du BTP et de politiques marseillais interrogés, tous surpris par cette nomination, Gérard Lafont serait de retour à l'office HLM afin de préserver le système.
"J'ai été sollicité par Christophe Masse, un mois après son arrivée, je ne suis pas mandaté par Guérini ! se défend le nouveau DG de 13 Habitat. Retourner là-bas avec la même influence de certaines personnes... Je n’y serais pas allé." Il explique son choix par l'intérêt du poste – "c'est un office avec des potentialités énormes et sous-exploitées" – et par sa volonté de poursuivre, à 65 ans, son activité professionnelle. "On ne m'impose rien, (c’est) à cette condition que j'ai pris la présidence, s’énerve de son côté Christophe Masse. (Lafont) a d'énormes qualités. Je n'avais pas besoin d'un gestionnaire, mais d'une vision pour demain. Je suis arrivé nouveau président avec de nouvelles méthodes, de nouveaux projets."
A part rafraîchir son bureau et quelques effets d'annonce, Christophe Masse n'a pourtant pas révolutionné la politique de l'office. Le redémarrage de la construction et la livraison de "3000 logements d'ici 2015" décidés par son prédécesseur sont toujours les objectifs affichés. "Christophe Masse ne m'a jamais demandé de réactualiser le Plan stratégique du patrimoine (PSP), qui fixe les investissements de l'office en réhabilitation et construction pour les six ans à venir", fait remarquer Bernard Escalle, directeur général de 13 Habitat de 2007 à son éviction en mars 2012, après vingt ans de services à l'office HLM.
Saisi en référé par ce dernier, le tribunal administratif de Marseille, a, le 2 juillet, suspendu son licenciement et exigé sa réintégration sous quinze jours. L'affaire devrait être jugée au fond dans quelques mois. Dans un communiqué mardi soir, 13 Habitat a réaffirmé sa "volonté de (se) séparer de M. Escalle pour incompatibilité et incapacité à appliquer la ligne politique tracée par le conseil d'administration". Entre-temps, voilà l'office HLM doté de deux directeurs !
La petite maison dans la garrigue
Gérard Lafont, qui avoue ne pas encore connaître ce plan stratégique de patrimoine, jure toutefois pouvoir faire mieux... Si le nouveau DG de 13 Habitat a plutôt la réputation d'un "bon professionnel" auprès de ses collègues – "il fait sortir les dossiers, il a une énergie professionnelle, il trouve les terrains, etc.", explique un architecte marseillais –, le bilan de son action dressé par les autorités de contrôle est beaucoup plus mitigé.
Un rapport de juin 2002 de la Miilos (mission interministérielle d'inspection du logement social) juge l'activité de construction de logements neufs de l'Opac Sud "faible", avec seulement 34 logements livrés en 1999 et 74 en 2000, époque où Gérard Lafont était directeur des travaux.
L'office a longtemps traîné une réputation de "dodu-dormant", se reposant, malgré d’énormes besoins dans le département, sur un parc locatif datant pour plus de 80% d'avant 1980. "Depuis 1981, le volume annuel des mises en chantier s’est progressivement amenuisé", résumait en 2009 un rapport de la chambre régionale des comptes. Tableau à l'appui, Gérard Lafont dispose, lui, de chiffres très différents de ceux de la Miilos (95 logements neufs en 1999 et 355 en 2000 !).
De même, le passage de Gérard Lafont à la direction générale adjointe "construction, éducation et patrimoine" du conseil général n'a pas vraiment impressionné la chambre régionale des comptes. Selon un rapport de 2008, le département n’a réceptionné que 21 collèges en dix ans. "En 2001, 2002 et 2005, aucune réception n’est intervenue", précise l’instance de contrôle. Là encore, documents à l'appui, Gérard Lafont affiche lui 38 constructions et reconstructions au compteur entre 2001 et... 2012.
Par contre, l'architecte est plus efficace lorsque ses intérêts personnels sont en jeu. En 1990, il a été condamné par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence à une amende de 500.000 francs pour avoir construit sa maison sur une zone doublement non-constructible, passant outre un refus de permis de la ville d'Aix-en-Provence*. Située sur le plateau de Bibémus, une magnifique garrigue boisée de pins et de chênes aux abords de la Sainte-Victoire, la villa avec piscine se trouve donc au beau milieu d'un espace boisé, de surplus classé ND1 ("protection totale") par le POS (plan d’occupation des sols) de 1984. Apparemment, il n'était pas le seul sur cette zone convoitée. "Il est arrivé que certains propriétaires, anciens ou plus récents, aient une interprétation extensive de la notion de rénovation et extension autorisée des bâtiments existants", se souvient pudiquement Pierre Dussol, l'ancien adjoint à l'urbanisme de Jean-Pierre de Peretti, maire (UDF) d'Aix-en-Provence de 1983 à 1989.
"Je suis allé au pénal, car j’ai construit sur une ruine un peu plus grand que ce qui était autorisé et ajouté des garages, minimise Gérard Lafont. J’aurais été un particulier, ça aurait été 5000 francs d'amende, comme j’étais architecte, ça a été 500.000 francs, que j’ai payés sur cinq ans." Aux yeux de plusieurs professionnels, l'architecte s'en est pourtant très bien tiré. "C'est vraiment étonnant que la remise en l'état n'ait pas été demandée par le tribunal (lire le prolonger), remarque un maître de conférences, spécialiste du droit de l'urbanisme. Si la personne est seulement condamnée à une amende, cela signifie que le droit de l’urbanisme ne sert plus à rien : il suffit d'être riche pour pouvoir bétonner les zones naturelles !" A la même époque, d'autres propriétaires ont d’ailleurs eu moins de chance que Gérard Lafont. Alexandre Castronovo, ancien élu PRG aixois, se souvient ainsi de plusieurs destructions pour les mêmes raisons dans les années 1990, "notamment dans le quartier de Montaiguet pour un programme de sept maisons, dont trois quasiment finies".
"J’avais l’assurance du maire de l’époque, Jean-Francois Picheral, qu’il allait modifier le POS pour régulariser plusieurs situations, ça ne s’est pas fait", explique Gérard Lafont. Picheral, le maire PS d'Aix-en-Provence de 1989 à 2001, nous a répondu ne pas se souvenir de l'affaire… avant de renvoyer au mandat de son prédécesseur, aujourd'hui décédé.
Depuis lors, le fils de Gérard Lafont a pu, sur une parcelle proche elle aussi située en zone protégée, réhabiliter une autre ruine et y faire construire en 2010 un étage supplémentaire. En toute légalité cette fois, mais avec encore la bienveillance de la mairie UMP d'Aix. Curieusement, ses services n'avaient pas examiné sa demande de permis de construire dans le délai réglementaire (deux mois). "Il ne faut pas voir plus loin qu'un loupé", assure Hervé Gagneur, directeur de l'urbanisme de l'UMP Maryse Joissains. "Gérard Lafont n'est pas un politique, il a des amis à droite comme à gauche", note Pierre Garnier. Avec une préférence pour les Guérini ?
Une enquête de Jean-François Poupelin (le Ravi) et Louise Fessard (Mediapart)
* Pour les amendes, la réhabilitation légale est acquise de plein droit, trois ans après leur paiement, donc depuis 1998 concernant M. Lafont.