(Montage LAC)
A observer le scénario des affaires Guérini, est-il exagéré de songer à la saga du Parrain ?
Car, hormis les pétarades, les mitraillages et les trafics de stupéfiants, nombreux sont les ingrédients qui pourraient le laisser croire : écoutes secrètes, espionnage, surveillance, traquenards, mensonges, trahisons, petits et grands arrangements entre amis, contrôle des marchés, bakchich, et on en passe.
Parions qu'un de ces jours un cinéaste s'avisera d'en tirer un juteux film à Oscar.
Avec l'excellent résumé de l'épisode en cours fait par la journaliste Louise Fessard pour Mediapart sur les suspicions d'intérêts croisés entre Jean-Noël Guérini et Bernard Squarcini (lire ci-après), on peut se faire une bonne idée du temps passé par les protagonistes à manœuvrer et à s'occuper de leurs affaires, et du temps nécessaire à la gendarmerie et à la justice pour démêler le vrai du faux.
Si ça continue comme ça, il n'est pas vraiment surprenant que la réalisation d'un premier long métrage rencontrerait un réel succès et serait suivi au minimum par deux autres épisodes comme le Parrain II et le Parrain III.
Mis en examen dans une affaire de marchés publics truqués dans les Bouches-du-Rhône, le sénateur PS Jean-Noël Guérini a refusé le 15 février de répondre aux questions du juge Duchaine. Comme l'a révélé Libération, le juge a aussitôt enclenché la procédure pour demander la levée de son immunité parlementaire. Protégé par celle-ci, Jean-Noël Guérini avait en effet quitté le tribunal en arguant des nombreuses fuites dans la presse qui constituent selon lui, "une violation réitérée du secret de l’instruction".
En fait de fuites, il apparaît que Jean-Noël Guérini est particulièrement bien renseigné. En novembre 2010, le président du conseil général aurait demandé à Marc Mondoulet, commandant de la région de gendarmerie de Provence-Alpes-Côte d'Azur, d'écarter un de ses enquêteurs, qu'il jugeait... trop bavard.
Entendu par le juge Duchaine le 17 novembre 2011, le général de division explique avoir rencontré Jean-Noël Guérini le 20 novembre 2010, au sortir de l'inauguration de la nouvelle gendarmerie du Rousset, financée par le département. Un entretien qui "s'est déroulé dans une intimité "lourde", (…) quasiment front contre front", décrit Marc Mondoulet face au juge.
Jean-Noël Guérini est méfiant. "La première question que m'a posée le président en s'asseyant a été de me demander si le bureau ne comprenait aucun micro", explique Marc Mondoulet. Rassuré sur ce point, le président du conseil général aurait affirmé au général qu'un de ses enquêteurs (nommé) "n'agit manifestement pas en toute indépendance".
Devant l'étonnement et les dénégations du général, Jean-Noël Guérini se fait plus précis. "Il me confirme d'un ton très affirmatif : "Je sais que cet officier a eu de nombreux contacts téléphoniques avec l'avocat de M. Muselier", relate Marc Mondoulet face au juge. Il m'affirme de façon très péremptoire que le lieutenant X a eu 47 contacts téléphoniques avec cet avocat et qu'il en a la preuve."
Avant de repartir, le président du conseil général lui aurait donc demandé d'écarter ce lieutenant, ne manquant pas au passage de rappeler au gendarme "l'effort financier que consentait déjà depuis plusieurs années le conseil général dans la construction de nouvelles casernes de gendarmerie".
Entendue en garde à vue le 29 novembre 2010, Jeannie Peretti, la compagne d'Alexandre Guérini, avait déjà affirmé détenir "les preuves qu'un gendarme a communiqué toute l'enquête à Me Cachard, avocat de M. Muselier, et ce par l'intermédiaire de M. Garosi, expert". Elle aussi s'était montrée très précise : "Il y a eu quand même 47 appels téléphoniques entre Monsieur Garosi et Me Cachard et ce, sur leurs portables."
Interloqué, un gendarme lui demande : "Savez-vous que l'obtention de telles informations concernant les appels téléphoniques est encadrée par des textes de loi ?" "Ben oui. A moins que ce soit des écoutes sauvages", répond benoîtement Jeannie Peretti, qui refuse de "dévoiler ses sources".
Ce qui pouvait, à l'époque, passer pour un coup de bluff devient plus troublant avec le récent témoignage du général Marc Mondoulet qui incrimine directement Jean-Noël Guérini. "Jean-Noël Guérini n'a pas eu d'information précise, il conteste les propos de ce gendarme avec qui il sera confronté", réagit Patrick Maisonneuve, l'un des avocats de l'homme fort du PS à Marseille.
Se demandant sans doute où les frères Guérini avait été pêcher des informations aussi détaillées (et illégales), les gendarmes de la section de recherche de Marseille ont prié courant novembre 2011 les trois principaux opérateurs téléphoniques de leur "faire parvenir la liste des services enquêteurs, y compris DCRI, ayant demandé la production des factures détaillées" de sept lignes téléphoniques "depuis avril 2009".
Parmi lesquelles, on retrouve le numéro de portable de Me Xavier Cachard, de l'expert financier Pierre Garosi, de deux gendarmes de la section de recherche de Marseille chargée de l'enquête sur les marchés truqués, et… du juge Duchaine lui-même.
En clair, les gendarmes suspectent la DCRI d'avoir fait leurs fadettes, ainsi que celles du juge d'instruction et de Me Xavier Cachard, un proche de Renaud Muselier, par ailleurs élu UMP à la communauté urbaine de Marseille.
Les réponses d'Orange, Bouygues et SFR sont toutes négatives : aucune trace concernant une demande de production de fadettes pour les numéros listés…
Qui a informé Jean-Noël Guérini ?
Contacté, Pierre Garosi, expert judiciaire mandaté fin 2009 par le juge Duchaine pour retracer les montages financiers entre les différentes sociétés d'Alexandre Guérini, dément avoir jamais contacté Me Xavier Cachard, qu'il dit ne pas connaître. Mais il n'exclut pas d'avoir été écouté. "Ça se peut très bien, mais dans ce cas ils se sont trompés d'adresse car je pense qu'ils visaient plutôt le lieutenant en question", estime-t-il.
Autre fait troublant, en novembre 2010, son domicile avait été cambriolé. Son ordinateur personnel ainsi que des bijoux avaient été dérobés. "Il y avait une mise en scène impressionnante, ils avaient tout saccagé, explique Pierre Garosi. Je ne peux évidemment faire aucun lien avec le fait qu'on m'avait confié ce rapport, mais on ne fait habituellement pas ça pour un simple petit cambriolage."
Egalement contacté, Me Xavier Cachard a décliné tout commentaire.
Bien qu'il l'ait toujours démenti, le patron de la DCRI, Bernard Squarcini, est soupçonné d'avoir informé les frères Guérini sur l'enquête en cours. Comme le rappelle le livre L'Espion du président, publié en janvier 2012, l'ancien préfet délégué pour la sécurité et la défense à Marseille est un proche de Jean-Noël Guérini.
Selon les auteurs, journalistes au Point et au Canard enchaîné, les deux hommes s'apprécient, ont partagé des parties de chasse et des séances de training cardiaque à l'hôpital.
D'après le Canard enchaîné à paraître demain (23 février), le juge Duchaine a d'ailleurs demandé au parquet d'étendre son enquête à des faits présumés de trafic d'influence visant Bernard Squarcini.
Le juge d'instruction avait en effet découvert l'embauche des deux enfants de Bernard Squarcini au département, l'une au service de communication du Conseil général, l'autre, entre 2005 et mars 2011, comme chargé de mission auprès de la société d'économie mixte Treize Développement (13D), le bras armé du département pour ses grands chantiers immobiliers.
Entendu le 8 novembre 2011 par les gendarmes, l'ancien directeur de 13D, Jean-Marc Nabitz, avait affirmé que Jean-Noël Guérini lui avait même "donné l'ordre d'augmenter le salaire de Jean-Baptiste Squarcini, fils de Bernard Squarcini".
Vérification faite par les gendarmes marseillais auprès de 13D, le salaire de l'intéressé a en effet été augmenté de près de 1000 euros en octobre 2007 sans "aucun document justifiant cette augmentation", constatent-ils.
"J'apporterai les preuves, les téléphones, les SMS"
Lorsque fin avril 2009 dans une conversation avec son frère Alexandre, Jean-Noël Guérini l'informe qu'un mystérieux "ami" "à Madrid" l'a averti de l'ouverture d'une enquête préliminaire le concernant, les regards s'étaient aussitôt tournés vers le patron de la DCRI, justement présent à Madrid lors d'une visite d'Etat de Nicolas Sarkozy, le 26 avril.
Plus fâcheux, le surnom de Bernard Squarcini apparaît ensuite dans une série de textos échangés le 8 octobre 2009 entre Alexandre Guérini et son avocat de l'époque, Me Olivier Grimaldi. "Message à effacer : Le Squale (surnom de Bernard Squarcini - ndlr) a dit que tout était écrasé et que des coups de fil avaient été passés. A effacer", écrit Alexandre Guérini.
"A qui il a dit ça ?" demande l'avocat. "A JCHP (Jean-Claude Hoang-Phu, un responsable marseillais du syndicat Unité SGP Police FO)", répond l'homme d'affaires.
Bernard Squarcini a toujours démenti avoir informé les frères Guérini. "Je connais l'existence d'une enquête sur Guérini depuis novembre 2008. Vous croyez que j'aurais attendu aussi longtemps si j'avais voulu prendre le risque fou de prévenir Jean-Noël ?", réplique-t-il dans L'Espion du président.
Même stratégie des frères Guérini, qui jouent les ébahis face au juge Duchaine.
Interrogé le 14 mars 2011, sur ces fameux textos, Alexandre Guérini a prétendu ignorer que le Squale était le surnom de Bernard Squarcini ("Je ne savais pas qu'il avait un prénom de requin", s'étonne-t-il face au juge).
Tandis que Jean-Noël, auditionné le 8 septembre 2011, affirmait, lui, ne plus se souvenir qui lui avait communiqué les informations sur l'enquête, mais démentait que ce soit Bernard Squarcini.
Reste donc cette question : pourquoi le sénateur PS a-t-il prétendu avoir la preuve du nombre de coups de fils supposément échangés entre un gendarme et un élu ?
Lors d'une réunion socialiste marseillaise, en mars 2010, Jean-Noël Guérini avait déjà laissé entendre qu'il avait des "preuves" sur ses camarades socialistes qui informaient la presse.
Ce qui disait Guérini sur un enregistrement fait à son insu :
"Moi, j'apporterai les preuves de A à Z, les téléphones, les SMS, tout, tout, tout, avait-il affirmé. Les échanges, les rencontres avec les uns, avec les autres. Que de surprises. Les rencontres avec les journalistes, les articles, comment ils ont été contactés, sur Internet, sur les sites que je vous ai indiqués. Là vous aurez de grandes surprises. (...) Et là, il va y avoir des grosses gouttes, que le Vieux-Port risque de déborder."