Pour retracer les différents épisodes touchant au technopôle de l'Arbois, Mediapart a réuni dans un article bien documenté tous les éléments de la saga dans laquelle sont cités les noms des frères Guérini et bien d'autres troubles personnages.
Il n'est donc peut-être pas inutile de rappeler l'ensemble de ces faits au lendemain de la garde à vue d'Alexandre Medvedowsky qui en est ressorti sous le statut judiciaire de témoin d'assisté.
Le président Alexandre Medvedowsky affirme cependant "n'avoir rien à voir là-dedans", assure n'avoir été interrogé que sur "une affaire microscopique" et n'avoir jamais été au courant de la présence à l'Arbois, lors d'une réunion de chantier, de Bernard Barresi, fiché au grand banditisme.
Difficile pourtant d'imaginer qu'en deux journées de garde à vue les gendarmes n'aient pas également et longuement abordé d'autres passionnants sujets...
Bonne lecture !
L'affaire Guérini aux portes d'Aix-en-Provence
20 juin 2012 par Louise Fessard
Dans les Bouches-du-Rhône, l'enquête du juge Duchaine sur des malversations dans les marchés publics du conseil général, présidé par Jean-Noël Guérini (PS), et de ses multiples organismes satellitaires, s'oriente depuis début 2012 du côté d'Aix-en-Provence. Après les déchets, les attributions de logements HLM, et les maisons de retraite, c'est le Technopôle de l'Arbois, un établissement public administratif lié au département et chargé d'aménager le plateau de l'Arbois, un massif naturel proche d'Aix-en-Provence, qui est dans le viseur.
Son président, le conseiller général PS Alexandre Medvedowsky, et son directeur, Olivier Sana, ancien secrétaire d'une section PS aixoise, étaient depuis mardi matin en garde à vue à Marseille, où ils sont interrogés par la douane judiciaire. Mercredi soir, Alexandre Medvedowsky a été présenté à un juge, tandis qu'Olivier Sana était remis en liberté.
Eternel candidat PS à Aix-en-Provence, Alexandre Medvedowsky, énarque, est à Paris patron d'ESL France, un grand cabinet de conseil spécialisé dans l'intelligence économique et le lobbying situé sur les Champs-Elysées.
Début mai 2012, Jean-Louis Jaubert, l'ex-directeur du Technopôle, avait été mis en examen pour "atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics". Cet ingénieur venu du privé, qui avait rencontré Alexandre Guérini, le frère du président du conseil général, lors d'une mission d'ingénierie sur l'une des décharges qu'il gère dans les Bouches-du-Rhône, avait reconnu lors de sa garde à vue qu'"à l’évidence Alexandre Guérini a tenu un rôle dans (sa) nomination" en 2006.
Les enquêteurs soupçonnent Jean-Louis Jaubert de favoritisme dans l'attribution de marchés de BTP à l'Arbois, notamment celui du bâtiment Lavoisier, obtenu en 2007 par la société ABT, une entreprise réputée proche du grand banditisme et dont l'un des cogérants, aujourd'hui mis en examen dans un autre volet de l'affaire, était associé dans l'une des sociétés d'Alexandre Guérini.
Ils soupçonnent également Monsieur Frère d'avoir en juin 2009 œuvré pour l'investiture d'Alexandre Medvedowsky par le PS local, lors de l'élection municipale partielle à Aix-en-Provence, en échange du maintien à l'Arbois de son protégé, Jean-Louis Jaubert, pourtant considéré, selon une écoute, comme "incompétent" et "malhonnête" par Medvedowsky lui-même.
Le syndicat mixte de l'Arbois a été créé en 1991 à l'initiative du conseil général des Bouches-du-Rhône (qui en détient toujours 57% des parts, le reste étant réparti entre la Communauté du pays d'Aix, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et la chambre de commerce et d'industrie de Marseille) afin d'aménager ce territoire de 4.500 hectares, "au cœur d'un des plus grands espaces naturels de Provence", et d'y attirer entreprises et labos de recherches travaillant sur l'environnement. A deux pas de la gare TGV d'Aix-en-Provence, dans une région où le foncier se fait rare, l'endroit est stratégique et "suscitait des convoitises", comme l'a reconnu Jean-Louis Jaubert lors de sa garde à vue, selon La Provence.
En octobre 2007, la société ABT obtient trois lots dans l'extension du bâtiment Lavoisier, destiné à abriter une filiale d'Areva, pour un montant de 1,6 million d'euros. ABT était gérée par deux proches d'Alexandre Guérini (Damien Amoretti et Patrick Boudemaghe, aujourd'hui tous deux mis en examen dans un autre volet de l'affaire) et domiciliée à Gardanne (Bouches-du-Rhône), sur l'un des lieux de planque de Bernard Barresi, fiché au grand banditisme et acquitté en mars 2012 à Colmar pour un ancien braquage.
Leur dossier, qui remporte la meilleure note sur les trois critères retenus (prix, technique et environnemental), semble béton, même si les travaux se dérouleront ensuite très mal. Questionné par Mediapart en juin 2011, Olivier Sana avait alors indiqué que le maître d'œuvre avait dû "intervenir à plusieurs reprises pour rappeler la société ABT à ses obligations".
Extrait du rapport d'analyse d'offres de mai 2007 classant ABT en tête.
"ABT pouvait avoir de bons dossiers techniques, ils avaient embauché un ingénieur spécialiste pour rédiger les dossiers, explique un architecte marseillais rencontré le 9 juin 2012, qui a travaillé avec l'entreprise sur d'autres chantiers. C'était une vraie entreprise avec des salariés, pas une simple boîte à lettres. Mais, quand il y avait ABT (parmi les candidats à un appel d’offres - ndlr), on savait qu’ils étaient placés."
Selon deux témoins de l'époque contactés par Mediapart, Bernard Barresi lui-même, alors en cavale depuis vingt ans, aurait assisté, sous le nom d'emprunt de Monsieur Gilles, à des réunions de chantier dans les locaux du syndicat mixte de l'Arbois. "Je l'ai vu une fois, il accompagnait les représentants de l'entreprise ABT, dit l'un des architectes qui a travaillé sur le bâtiment Lavoisier. A l'époque, personne n'imaginait que c'était Monsieur Barresi, il était dans un anonymat total." Un autre acteur explique même que "Bernard Barresi passait des heures dans le bureau de Jean-Louis Jaubert" (le directeur de l'Arbois - ndlr)" et que "c'était lui qui donnait le tempo".
Selon La Provence, le parquet de Marseille aurait récemment délivré un réquisitoire supplétif au juge Charles Duchaine, visant une possible association de malfaiteurs entre Alexandre Guérini et Bernard Barresi. "Le but ayant été pour les acteurs ciblés de repérer des terrains (sur le plateau de l'Artois et à La Ciotat - ndlr), afin d'y réaliser des plus-values et ainsi d'asseoir leur puissance, pour obtenir ensuite de nouveaux marchés", avance le quotidien régional.
"Tu vas pas braquer le président et la famille Guérini"
Plusieurs écoutes téléphoniques, datant du printemps 2009, et les témoignages d'anciens responsables de l'Arbois, montrent que Jean-Noël Guérini et son frère Alexandre ont tout fait pour installer puis maintenir leur homme, Jean-Louis Jaubert, à la direction de l'Arbois.
"Quand j'étais président de l'Arbois de 2003 à 2006, Jean-Noël Guérini m'avait demandé de me séparer de mon directeur de l'époque, Claude Reynoird, dont je n'avais pourtant qu'à me louer, se souvient le conseiller général PS André Guinde. Je ne comprenais pas pourquoi à l'époque." Claude Reynoird sera écarté en 2006 au profit de Jean-Louis Jaubert, "un choix délibéré du président du conseil général", a expliqué, à Bakchich, l'ancien directeur débarqué.
Au printemps 2009, Alexandre Medvedowsky, le président de l'Arbois, veut se débarrasser de Jean-Louis Jaubert qu'il juge incompétent. Le 18 mai, Alexandre Guérini, au téléphone avec Olivier Sana, alors bras droit de Medvedowsky à l'Arbois, lui rappelle que Jean-Noël Guérini et lui souhaitent le maintien à la direction générale de l'ingénieur pendant un an, "pour régler ses problèmes de retraite". "Jean-Noël m'a dit on le laisse et dans un an on met Olivier", martèle Alexandre Guérini. Simple militant PS et homme d'affaires spécialisé dans les déchets, Monsieur Frère n'avait pourtant aucune fonction à l'Arbois. "Alexandre Medve il ne sera pas d'accord là dessus hein, lui il est prêt à faire un geste à le garder un an de plus si nécessaire, mais pas au poste de directeur général, il n'a aucune confiance en lui, il nous fait que… Enfin je vais pas te refaire tout le tableau hein", répond Olivier Sana.
Malgré cette mise en garde, Alexandre Medvedowsky se prépare à licencier Jean-Louis Jaubert. Fin mai, d'après une écoute, la lettre de convocation à l'entretien préalable est même prête. Alexandre Guérini, outré, en informe le 28 mai 2009 le directeur de cabinet de son frère, Rémy Barges (qui a depuis démissionné).
Au téléphone, les deux hommes s'indignent de cette rébellion du président de l'Arbois. "Je l'ai eu au téléphone cette semaine, Alexandre Medve, je lui ai dit (…) que la volonté du président (du conseil général - ndlr) c'est de maintenir en poste Jean-Louis Jaubert, explique Rémy Bargès à Monsieur Frère. Il m'a dit “Il est incompétent, il est nul, il ne sait pas manager, il est malhonnête”. J'ai dit écoute ça reste à démontrer hein ? (…) Là on est désavoués, là Alexandre, on est désavoués, et j'ai eu Medve au téléphone et j'avais eu Sana dix jours avant pour bien lui dire (…) que je lui ai donné ma ligne et clairement il en tient pas compte, et il sait très bien que Jean-Noël est pas d'accord."
"Ne nous énervons pas", tempère Alexandre Guérini. "Je ne m'énerve pas", réplique Rémy Barges. "Ça veut dire qu'il ne nous respecte pas", conclut Alexandre, après réflexion. "Ça veut dire qu'il ne nous respecte pas absolument", répète Rémy Barges. Les deux se donnent un moment de réflexion pour se calmer.
Dix minutes plus tard, Rémi Barges rappelle Alexandre Guérini. Son frère Jean-Noël, de retour d'Aix-en-Provence, vient d'apprendre la nouvelle. "Je viens de lui en parler, il m'a dit “Mais il est fou”, il m'a dit “il est fou, on a pris un engagement de la parole, il passe en force”, il me dit “vous appelez Medve, vous lui dites 'Très bien, très bien, tu licencies Jaubert, tu fais ce que tu veux, on t'avait donné des consignes, tu ne les suis pas mais moi je lance un audit, je me retire de l'Arbois, je lance un audit sur l'Arbois voilà'”."
Au mot d'audit, Alexandre Guérini pressent le faux pas : "Non mais tu dis pas ça, tu dis pas tu lances un audit (…) Tu dis “Bon écoute, tu as raison, tu veux virer mon directeur. Ben, ok de toutes façons le tien n'y sera pas, je te le dis, et si tu le vires, le Conseil général se retire définitivement” (…)".
Le ton se fait menaçant : "Tu lui dis comme ça “Tu sais, tu connais si tu t'obstines, si tu t'entêtes, tu sais que la famille Guérini ils sont encore plus entêtés que toi !” Rémy Bargès obtempère : "Oui, oui, je lui dirai “Alexandre tu peux pas faire ça, (…) on va pas se braquer les uns les autres, tu vas pas braquer le président et la famille Guérini”."
Proglio : "Message transmis"
L'annulation, le 8 juin 2009, par le Conseil d'Etat de l'élection municipale de 2008 à Aix en raison de propos de Maryse Joissains durant la campagne "mettant clairement en cause la vie privée" du candidat Modem François-Xavier de Peretti, semble leur offrir une voie de sortie, pour dénouer la crise. Les enquêteurs soupçonnent un accord entre Alexandre Guérini et Alexandre Medvedowsky : le maintien de Jean-Louis Jaubert à la tête de l'Arbois pendant un an contre l'investiture du PS pour la municipale partielle de juillet 2009.
Entendu comme simple témoin en mars 2012, Alexandre Medvedowsky a, selon La Provence, jugé "absurde" ce lien. "Si cela se passe sur une même période, je n’y suis pour rien et cela ne veut pas dire qu’il y a un rapport entre les deux", a-t-il déclaré aux douaniers. C'était pourtant un autre socialiste aixois, le conseiller général André Guinde, qui était jusqu'au dernier moment favori pour porter la candidature PS à Aix. Et plusieurs textos de juin 2009, révélés par le mensuel Le Ravi, montrent que Monsieur Frère a apporté un soutien actif à la candidature de dernière minute d'Alexandre Medvedowsky. "Il paraît que Guinde fait chier... j'ai eu de Peretti on avance", écrit le président de l'Arbois à Alexandre Guérini le 11 juin 2009, un jour avant la date fatidique de l'assemblée générale des militants aixois. Ce dernier le rassure : "Laisse-moi faire." "C'est pour ça que je t'envoyais texto !! Merci de ton aide", se réjouit Alexandre Medvedowsky.
En effet, il a gagné la partie. Le 12 juin, "le soir de la réunion des militants aux Milles, qui devait entériner ma désignation, j'ai vu arriver Eugène Caselli, qui était alors secrétaire fédéral des Bouches-du-Rhône, pour dire que ce serait Medvedowsky qui conduirait la liste", se souvient André Guinde. "Après ça, je n'ai pas été plus loin, j'ai encaissé le coup, et je suis rentré dans le rang, explique le vice-président du Conseil général. J'ai compris quand j'ai vu les écoutes. Alexandre Medvedowsky avait des appuis que je n'avais pas. Nous ne boxions pas dans la même catégorie."
Jusqu'à quel niveau ? Car quelques heures avant l'assemblée des militants aixois, Alexandre Guérini reçoit un mystérieux texto d'Henri Proglio, alors PDG de Veolia : "Cher Alexandre. Message transmis. Je vous embrasse. Henri." Monsieur Frère répond aussitôt : "Je sais. Merci beaucoup."
S'agit-il d'une pure coïncidence ? Henri Proglio, qui entretient des relations d'amitié et d'affaires avec Alexandre Guérini, a-t-il joué un rôle dans l'investiture d'un candidat socialiste aux municipales d'Aix ? De quelle façon ? Ou s'agissait-il d'un coup de main dans un autre dossier intéressant Alexandre Guérini ? Henri Proglio n'a pu être joint ce mercredi pour éclaircir ce point.
Interrogé par Mediapart, Eugène Caselli, aujourd'hui président de la Communauté urbaine de Marseille, dit "ne rien savoir du tout" d'une possible intervention de l'ex-patron de Veolia. "André Guinde était resté pendant un moment l'unique candidat pour Aix-en-Provence, relate-t-il. Quand Medvedowsky s'est finalement déclaré, Jean-Noël Guérini m'a dit qu'il le soutiendrait. Dans ces cas-là, c'est toujours l'homme fort du parti qui décide. J'ai donc averti André Guinde que si Guérini ne le soutenait pas, le conseil fédéral ne l'investirait pas."
Après son investiture, Alexandre Medvedowsky est en tout cas pleinement rentré en grâce auprès d'Alexandre Guérini qui lui propose dans un texto du 22 juin de "se voir et me dire ce dont tu as besoin pour ta campagne. Bises". Rendez-vous est pris le lendemain dans un café aixois. Jean-Louis Jaubert, aujourd'hui retraité, restera, lui, en poste à la direction du technopôle de l'Arbois jusqu'en septembre 2010.