Krach financier : Haut les mains, c'est un hold-up !
Selon un humoriste pétomane, proche du cercle présidentiel, il n'y a pas plus de crise financière qu'il n'y a eu d'attentat à New York en 2001. Fin de la plaisanterie. Que se passe-t-il ? Qui fait quoi ? Pourquoi ? Comment ? Allons-nous tous être floués ? Pendant que nous avons le nez sur le pouvoir d'achat, la hausse des prix et les salaires qui n'avancent pas, pauvres de nous, la partie se joue ailleurs, dans notre dos devrait-on dire.
L'argent a un double visage : côté pile, pour acheter notre pain moins quotidien, côté face, pour engraisser des bandits. Ci-après, un article lumineux et accessible à tous, paru dans Libération le 18 septembre 2008. L'auteur en est Jacques Généreux, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, et auteur de "La Dissociété" (ed. Seuil, 2008). Finance, économie, rôle de l'Etat, crises, gagnants, perdants… et nos yeux pour pleurer !
Il n’y a pas de retour de l’Etat
Selon Jacques Généreux, le marché a toujours été défendu par la puissance publique. Propos recueillis par Christian Losson
L’interventionnisme du gouvernement américain pour tenter d’endiguer le krach financier marque-t-il le retour de l'Etat ?
Il n’y a pas de retour de l’Etat parce qu’il n’a jamais reculé. Son poids n’a pas cessé d’augmenter aux Etats- Unis. Simplement, il a changé de nature. Ce n’est plus un Etat-providence qui redistribue, c’est un Etat privatisé, au service des marchés, des profits. Il n’a cessé de donner plus de liberté à la finance, aux entreprises. Quand celle-ci débouche sur la crise, il doit intervenir en urgence.
Mais jamais le gouvernement n’avait lâché autant d’argent pour sauver son économie…
Il n’a pas le choix. Il paie aujourd’hui le prix de son engagement au service de la dérégulation, de la déréglementation, du laisser-faire au service du capital. Ce n’est pas la finance qui est devenue folle, c’est l’Etat américain qui l’est. Il l’a laissé prospérer et elle risque de tout emporter ! Il joue l’Etat pompier, alors que c’est lui l’incendiaire.
Et c’est nouveau, ça ?
Non, les Etats-Unis sont depuis longtemps schizophrènes : très libéraux en microéconomie (entreprises, marchés) et très keynésiens en macroéconomie (politique économique). Depuis la rupture du contrat social hérité des Trente Glorieuses et l’avènement des idéologues du néolibéralisme, cette schizophrénie s’est aggravée.
C’est-à-dire ?
D’un côté, l’Etat fédéral se désengage de ses prérogatives sur le social, l’éducation, les retraites, engendrant une société plus dure et plus inégalitaire que jamais. Alors, de l’autre côté, pour éviter le désordre social, il est obligé de garantir la croissance et l’emploi par une forte intervention sur la politique budgétaire et monétaire. Mais la violence sociale persiste. Et cet Etat de classe devient de plus en plus un Etat pénitence et un Etat policier. Objectif, donc : assurer l’ordre social chez les plus pauvres, maintenir la prospérité économique chez les plus riches. D’où cette rhétorique néolibérale du "on n'a rien sans rien", qui vient substituer le workfare (allocations conditionnelles) au welfare (aide publique généralisée). Et ce n’est pas vrai que pour les Etats-Unis.
Une page de l’histoire du capitalisme dérégulé est-elle quand même en train de se tourner ?
Il faudrait pour cela qu’on sorte de la logique de l’Etat qui met des rustines, écope, alors que le bateau prend l’eau de toute part, faute d’avoir cloisonné les secteurs financiers (banques, assurances, crédits, etc.). Il faudrait sortir, comme après chaque crise, des débats sur la morale, la transparence, la chasse aux bandits. Et s’attaquer au débat de fond : changer de cap.
Changer de système, ou mieux le réguler ?
Arrêter d’avoir une confiance aveugle en le marché comme seul règle de prospérité. Encadrer la libre circulation des capitaux. Créer des agences de notation publiques… Or, pour l’instant, personne ne remet en cause cette erreur fondamentale du marché roi. Bref, avoir un contrôle plus aigu, en amont des crises, pour éviter qu’elles ne se reproduisent aux Etats-Unis, comme c’est le cas depuis vingt ans. Même l’Europe - et la France sous Sarkozy - reste fascinée par les sirènes du moins d’Etat.
Donc, vous ne croyez pas à un changement de paradigme malgré l’ampleur du séisme ?
Non, parce que la question, ce n’est pas : "plus ou moins d’Etat ?" C’est : "quel Etat veut-on ?" Entre 1970 et 2000, décennies du libéralisme, les dépenses publiques sont passées de 31,6 % à 35,8 %. Mais c’était plus d’aide aux entreprises, aux dépenses militaires et moins de social. Depuis, les taxes sur le capital baissent, celles sur le travail augmentent. La crise des subprimes n’infléchira pas la tendance.