Match de repêchage : Irlande 1 - Europe 0
Tiens, prenons deux nouvelles bien fraîches au hasard : l'Irlande et le football.
L'Irlande vient de voter non au Traité de Lisbonne. Même si, au bout du processus, – avec ses 3 millions habitants contre 500 millions d'Européens – elle reste le seul pays à l'avoir fait, peut-on considérer légitimement sa décision comme étant moins démocratique que celle des pays qui l'ont ratifié ou s'apprêtent à le faire par la voie parlementaire ? La condition pour valider le traité était un vote à l'unanimité des 27 pays. C'en est donc fait du document.
Absents de l'Euro 2008, les Irlandais, pure coïncidence de l'actualité, auront sans doute voulu marquer un but historique et se faire remarquer par le résultat de cette consultation qui, admettons-le, passionne beaucoup moins les foules que celui de la compétition qui se déroule en ce moment. Le ballon est plus vendeur que le bulletin. Il n'y a qu'à voir la place respective faite à chacune des deux informations en une de la presse pour s'en convaincre.
Alors que les enjeux politiques européens concernent l'avenir à long terme, les rencontres footballistiques relèvent de l'éphèmère où les victoires et les défaites éprouvées par le public ne le sont que par procuration. L'engouement pour le défi sportif européen, monté en épingle grâce au matraquage orchestré par tous ceux qui y ont des intérêts échappant totalement aux supporters qui les financent à longueur d'année et au prix fort dans les stades ou devant les écrans de télévision, trouve sa raison d'être dans la simplicité même de la règle du jeu. Est déclarée championne l'équipe qui aura réussi à évincer toutes les autres.
C'est un peu comme dans ces programmes à épisodes interminables où le gogo de téléspectateur paie de sa personne, en même temps qu'il verse sa redevance, engraisse la publicité et alourdit sa facture de téléphone. Tout ça parce qu'il a le sentiment de détenir enfin au moins une parcelle de pouvoir, celui d'éliminer tous les concurrents prétendant au titre artificiel de "star". Le temps dévolu à ce type d'événement, que l'on nomme divertissement (divertir, c'est faire diversion), est inversement proportionnel à son influence directe sur le destin des peuples.
L'Europe, c'est l'exact contraire. Tous les pays sont censés jouer ensemble sur le même terrain pour prendre part à une même communauté et chacun peut y obtenir sa part de récompense à proportion de ses besoins. Le temps octroyé au débat sur la construction nécessaire et pacifique de l'Europe est minuté au sablier des "experts" et décourage ainsi la curiosité et l'adhésion populaires.
Pour faire dans les formules, disons que le football pratique l'antagonisme, l'Europe tente d'organiser la solidarité. Le football exarcerbe le nationalisme, l'Europe prône l'universalisme. Le football sert les intérêts de quelques-uns, l'Europe a vocation à partager le bien commun. La liste serait longue à dresser de tout ce qui différencie les deux concepts.
Cela ne veut en aucun cas dire "supprimons le football et l'Europe se fera". Non, ce qui manque aux autorités politiques, c'est de proposer une règle du jeu intelligible et comprise par tous. Or, ce qui s'est passé en France et aux Pays-Bas en 2005, et qui vient de se reproduire en Irlande, c'est l'absence d'un discours simple, audible, accessible à tous et permettant la participation éclairée de chacun. En un mot, démocratique.
En football, la partie se joue entièrement devant le supporter. En Europe, le citoyen est pris pour un ballon, qui ignore le nom des donneurs de coups de pied et des arbitres !