Un fusible a fondu avec la mise en examen de son directeur de cabinet. Ce qui amène maintenant à se reposer la question de savoir si Jean-Noël Guérini n'est pas susceptible d'être lui aussi approché par le juge Charles Duchaine.
En décembre, parlant de son frère Alexandre, Jean-Noël avait déclaré "lui, c'est lui, et moi, c'est moi. Je ne suis concerné, ni de près ni de loin, par les affaires et les entreprises de mon frère". Il s'était même réjoui que "le conseil général n'est en aucun cas concerné par les affaires judiciaires" et que son collaborateur Rémy Bargès, entendu comme témoin, "est ressorti libre" après sa convocation chez le juge.
Ce lundi, après sa seconde audition, il en est également ressorti libre mais cette fois avec une mise en examen sur le dos. Voilà donc les déclarations de Jean-Noël Guérini écornées, et même contredites, par ce rebondissement auquel on pouvait toutefois s'attendre dans l'enquête des marchés publics présumés truqués puisque le directeur de cabinet s'entretenait régulièrement au téléphone avec son frère.
Les raisons sont les mêmes que celles divulguées en décembre par Le Point. A savoir, que les ordinateurs des secrétaires du cabinet de Jean-Noël Guérini et de Rémy Bargès lui-même avaient été remplacés à la veille d'une perquisition de locaux du conseil général alors même que Jean-Noël avait été mystérieusement averti en amont de l'existence d'une enquête sur les marchés publics.
Le juge estime qu'il y a soupçon de "destruction de preuves". Il n'a visiblement pas été convaincu par les explications que lui avait fournies Rémy Bargès, "Je pense que j'ai paniqué, dans la mesure où il y avait un certain nombre d'informations à caractère politique sur ces ordinateurs, notamment des notes sur les subventions d'associations", qui avait ajouté : "Jean-Noël n'a pas été informé de cette décision, que j'ai prise seul en demandant que ce soit effectué rapidement."
"Rémy Bargès, a fait savoir son avocat, a nié une quelconque entrave à la justice et destruction de preuves". Qui a raison ? Et jusqu'où, pour ne pas dire jusqu'à qui, peut remonter le fil des soupçons et des accusations ? Le suspense continue...
En attendant, il n'est pas superflu de lire le savoureux portrait que le Ravi de mai a tiré de Jean-Noël Guérini.
Guérini imperator
Mai 2011 Par Rafi Hamal
La fédération attend, d'ici fin juin, les conclusions de la commission d'enquête interne au PS suite au rapport Montebourg. Si Jean-Noël Guérini n'est plus président de la "fédé 13", sa triomphale réélection à la tête du Conseil général le conforte comme l'homme fort des socialistes dans les Bouches-du-Rhône. Les dissidences se font discrètes ou sporadiques.
Une fois passé par le tamis des cantonales, "le nouveau Guérini est arrivé" tel un cautère sur une jambe de bois, écrémé de toute autocritique, avec l'aplomb de celui qui a survécu et qui a pansé ses plaies : "Je n'ai jamais douté de ma réélection." Adepte de la résilience, cette capacité à rebondir sur son malheur, le chef supposé naturel des socialistes des Bouches-du-Rhône, dégage une confiance, que la fâcherie avec certains camarades félons ne semble pas contrarier. "Je suis un gros cœur", sourit-il.
Le président du Conseil général sait causer dans le creux de l'oreille des élus. Et, il trouve les mots justes. Désormais, les socialistes du département, le trouillomètre à zéro, préfèrent s'immoler en citant Jaurès, plutôt que d'avouer publiquement qu'ils souhaitent la démission de JNG. "Dans cette affaire, il y a de quoi s'en mettre plein les semelles, estime un habitué du vaisseau bleu. Alors mieux vaut être prudent." Beaucoup étaient d'accord pour braver l'interdit et remettre en cause la légitimité de JNG. Cette conviction a masqué un élément essentiel : la division.
Le silence est d'or
"L'affaire était pliée d'avance, car plus que la détestation de Guérini, les opposants sont incapables de mettre un nom pour les représenter", glisse Franck Dumontel, ex-directeur de cabinet à la Communauté urbaine et au Conseil régional. Pierre Mendès France le martelait : "En démocratie, il faut convaincre." Alors, ça bachote dur autour de Jean-Noël Guérini. Objectif : normaliser les relations. "Maintenant, il faut qu'on ait une démarche d'apaisement", explique Gilbert Gaudin, directeur de la communication au CG13, proche parmi les proches de JNG.
Le président du Conseil général a décidé de joindre le geste à la parole en ouvrant la source aux cadeaux. Le député des quartiers nord, Henri Jibrayel, jusque-là en situation de quarantaine dans la fédé, hérite de la très médiatique délégation des sports. "Maintenant, ça va être plus difficile pour certains de témoigner contre un système qui les met en avant", analyse Jean-David Ciot, premier secrétaire par intérim de la fédération. Le sénateur Guérini a réactualisé le joli slogan de la gauche "l'imagination au pouvoir" en construisant un drôle de meccano après les cantonales.
Désormais, le silence est d'or et chacun cherche à monnayer son mutisme. "C'est la quittance du diable", ironise un élu PS à la solide culture littéraire. Il en est un qui n'a jamais caché sa fidélité à JNG, c'est Rébia Benarioua, conseiller général PS des quartiers nord de Marseille. A l'heure où le sénateur Guérini bégaye à coup de promesses, le fidèle grognard, indisposé par le peu de considération portée à son égard, tient à lui rappeler, aimablement, quelques vérités. "Je dirige désormais la troisième section la plus importante en nombre de militants encartés dans le département. Si certaines promesses ne sont pas tenues, comme mon investiture pour les législatives en 2012, et bien, je ferai parler les chiffres et j'exigerai un référendum interne." De quoi ajouter du trouble à une situation déjà vaseuse !
Fin des mamours
Fini les flagorneries, place aux mots qui fâchent. Ceux tenus par le président de la Communauté urbaine, Eugène Caselli, qui se dit "surpris par les mœurs et la bunkérisation de la fédé". L'ex-homme de confiance de Jean-Noël Guérini est resté pendant plus de 6 ans à la tête de la "fédé 13", avalant avec délectation toutes les couleuvres et faisant preuve d'un catéchisme quasiment pavlovien des directives "guériniennes" jusqu'à la "récompense", la présidence de la Communauté urbaine. Aujourd'hui, Eugène Caselli, qui a rejoint le chœur des amnésiques, a troqué sa vareuse de supplétif pour celle (trop large ?) d'opposant.
"On ne peut pas avoir géré tous les votes internes depuis 2004 et dire qu'aujourd'hui on découvre telle ou telle pratique, c'est de la mauvaise foi !", s'étonne, taquin, Jean-David Ciot. Lorsque la commission viendra auditionner les cadres locaux à Marseille, Eugène Caselli sera celui qui aura le plus à répondre." "Ne jamais injurier l'avenir", c'est dans cet état d'esprit que le président de MPM s'est rendu au domicile de Jean-Noël Guérini, pour un discret petit déjeuner de retrouvailles. Au programme : fin des mamours et mise en place d'un code strict de bonne conduite pour une coopération efficace de collectivité à collectivité. La vie politique est faite d'émouvantes réconciliations !
Quant à Patrick Mennucci, vice-président du Conseil régional, même à mots comptés, il étrille le chef du département : "On est au paroxysme du pouvoir personnel." "Patrick est un peu malhonnête dans cette affaire. Quand il s'agissait de faire élire Ségolène Royal, ce système qu'il dénonce, l'arrangeait bien", attaque Jean-David Ciot. Mais si l'événement a clairement un goût de guerre ouverte, le maire du 1er secteur n'entend pas faire de sa critique un tremplin pour la dissidence. "Je ne claque pas la porte", s'empresse-t-il de préciser à La Provence. "Patrick, c'est un perroquet, il est toujours sur l'épaule de celui qui monte", ironise, un brin vachard, Jean-David Ciot… (1)
Le fond... et la forme
La dissidence a essaimé son pollen jusque dans les dortoirs que sont les sections locales. Pierre Orsatelli, porte-parole d'un collectif de militants baptisé "Renouveau PS 13" qui se réclame de 250 adhérents, juge "qu'il faut changer les pratiques, mettre fin au règne corrupteur de JNG". "Pierre Orsatelli n'a pas eu l'idée tout seul de s'essuyer les pieds sur le Président du Conseil général, explique Jean-David Ciot. Son épouse, Fatima Orsatelli, récemment élue au Conseil régional, est une protégée de Patrick Mennucci." Tiens, tiens. "Jean-David Ciot n'a aucune légitimité, c'est un socialiste d'intérêt qui sert son maître", tonne Orsatelli.
Un cri qui trouve écho chez le sociologue Jean Viard, élu apparenté socialiste à la communauté urbaine qui jugeait "surréaliste que Jean-Noël Guérini se représente à la présidence du Conseil général". Furieux, ce dernier lui répond publiquement : "Viard a la mémoire courte, il a été élu grâce à moi. C'est d'ailleurs le seul qui ait gagné de l'argent durant la campagne des municipales, grâce au livre que nous avons fait ensemble (…). Il m'en veut peut-être, parce qu'il y a un an j'ai mis fin à sa subvention de 190.000 euros…"
Quand le fond se dérobe, il reste la forme ! Marie-Arlette Carlotti aussi a des griefs. Réélue dans le canton des Cinq-Avenues, elle a une crise d'introspection et "s'interroge sur la candidature Guérini". Puis, temporise et finit par voter docilement pour JNG, histoire de ne pas voir son avenir politique dans le rétro : "Martine Aubry nous demande de soutenir Jean-Noël Guérini, je ne vais pas aller contre notre première secrétaire." Désormais, à la fédé, son seul nom constitue un efficace repoussoir…
"Projet et dialogue", c'est le carburant de Jean-David Ciot. Tiré par ses rêves d'un parti meilleur. Le voilà plongé dans les clapotis d'une fédération dont les viscères trônent désormais à ciel ouvert. Avec pour feuille de route, l'ardente obligation de réussir un pari difficile, celui de maintenir la boutique à flot jusqu'au mois de juin et le rapport de la commission d'enquête (2). En attendant, le maire du Puy-Sainte-Réparade aboie et mord ceux qui, à défaut de brandir des idées, exhibent des figures à lapider : "Aujourd'hui, le débat est tronqué par des ambitions personnelles. Tous ceux qui visent des places se mettent à critiquer Guérini et un système dont ils ont bien profité." Renouveler perpétuellement l'espoir puis le décevoir, tel semble être le destin de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône…
(1) Entendu le 27 avril par la commission d'enquête, Jean-Noël Guérini a chargé Patrick Mennucci, "homme à tout faire (…) écrasant les camarades par sa prétention, sa suffisance…", mais aussi Michel Vauzelle. En retour, le président de la Région a accusé celui du département "d'être au cœur d'un système qui risque de porter tort au candidat socialiste lors de l'élection présidentielle".
(2) La commission d'enquête, composée de huit membres représentant les différentes sensibilités au PS, présidée par l'ancien ministre Alain Richard, doit rendre ses travaux avant le 20 juin.