François Hollande : Moi, président...
On avait amplement spéculé sur le climat de la rencontre. Et ce fut un débat à... rixes. François Hollande a assez rapidement cherché noise à Nicolas Sarkozy. Et inversement.
Je ne reprendrai pas ici tous les sujets qui ont alimenté le débat. On va nous les repasser bout par bout sur toutes les chaînes et on va les commenter dans tous les journaux. Je veux simplement relever quelques aspects de forme qui m'ont frappé.
Les échanges ont duré trois heures d'horloge, peut-être un record depuis que cette tradition existe. Il a donc fallu pas mal d'énergie et de résistance à chacun des deux compétiteurs pour ne jamais flancher. Et là, chapeau, quoi que l'on pense de l'un ou de l'autre.
S'il fut intéressant de suivre attentivement tous les arguments, il n'est pourtant pas certain que c'est ce qui fera la différence au moment de voter. En revanche, on se souviendra sans doute plus des postures et des traits de personnalité des deux candidats.
J'ai observé que Hollande avait délibérément opté pour une assise droite et collée au dossier de son fauteuil dès le début de l'émission. Ce qui, selon moi, lui a permis d'entretenir une certaine distance et de ne pas se laisser aller à des mouvements d'agitation. Autrement dit, il avait besoin de mettre en scène son image présidentielle. Sarkozy, lui, s'est rarement maintenu droit. Il était souvent penché en avant, signe qu'il voulait en découdre. Ce qu'il a d'ailleurs fait à maintes reprises.
On a donc assisté à une inversion des rôles : Hollande se présentant comme un futur président, Sarkozy se muant en candidat qui lui disputerait le droit de l'être. Pourtant, Hollande l'a harcelé sur son bilan en essayant de l'amener sur ce terrain et en y opposant ses propres projets.
Sarkozy a voulu éviter d'évoquer son action en tant que président mais il y a été contraint tout en essayant de critiquer son concurrent sur les politiques menées par les socialistes, pour le coup trop lointaines et décalées puisque Hollande n'est pour l'instant comptable d'aucun bilan gouvernemental direct. Dure tâche pour l'un et pour l'autre mais avec des coups réciproques qui ont quand même eu quelque succès.
Ces échanges rudes, et même musclés, ont réduit, comme d'habitude, les deux présentateurs à une présence complètement aplatie et à une incapacité à maîtriser totalement le déroulement du débat. C'était tant mieux car, pendant cinq ans, lorsqu'il était interrogé avec complaisance par les médias, notamment à l'Elysée, il a pu se la couler douce sans jamais avoir à souffrir d'une véritable contradiction. Or, ce débat a permis, pour la première fois, de le forcer à se justifier devant son adversaire. Et c'est à Hollande qu'est revenu le rôle de contester point par point son action présidentielle.
Sarkozy a été obligé de répondre, tendu et énervé, se faisant tour à tour défensif ou aggressif. Réaparaissaient alors beaucoup de tics, mouvements d'épaules, de tête, torsion des lèvres, manipulation des revers de sa veste.
Hollande m'a paru globalement plus serein tout en lançant ici et là des piques ironiques en phrases courtes et incisives enveloppées de courtoisie, façon Mitterrand pour ainsi dire.
Comme l'ont rappelé nombre de chaînes de télévision, qui ont rediffusé en boucle et jusqu'à l'abus les petites phrases de plusieurs débats présidentiels, il est rare que dans ce genre de confrontation ne surgissent pas celles qui feront mouche. Cette fois-ci, ce ne fut pas une phrase ou un échange de répliques acerbes.
L'innovation est venue du côté de Hollande qui s'est lancé sans crier gare dans une véritable tirade qui marquera sans doute les esprits, par sa forme et par son contenu : "Moi, président, je..."
Cela est intervenu par surprise aux deux-tiers de l'émission comme un pensum fondateur avant que des téléspectateurs n'aient la tentation d'aller se coucher. Sarkozy en est resté presque sans voix et sans riposte au point de ne réagir qu'avec une petite raillerie : "Vous venez de nous faire un beau discours, on en avait la larme à l’œil" car il a senti que c'était forcément le moment qu'on allait retenir de ce débat. Voilà.
On s'accorde à considérer qu'en général ce type d'exercice télévisé n'entraîne pas de changement dans les intentions de vote. Et pour cause, le premier tour est déjà passé par là et a figé une large majorité de votes. S'il devait y avoir quelques discordances entre les prévisions des sondages et les résultats de dimanche, elles seraient à rechercher à la fois dans les niveaux de certains reports de voix et dans l'évolution de l'abstention.
Des votants du premier tour n'ayant plus de candidat pourraient s'abstenir et être remplacés par des abstentionnistes de ce même premier tour qui pourraient en définitive choisir de participer au second. Mais, beaucoup d'études montrent qu'il est assez constant que les voix nouvelles finissent toujours par se répartir équitablement entre les deux candidats restants.
Pour le dire brutalement, en gros, Sarkozy est vraiment fichu.