Scènes insupportables de la vie ordinaire
La politique, ce n'est pas que les magouilles de quelques-uns. Ni les discours stratosphériques entre "élites" au langage savant et abscons à mille lieux des préoccupations concrètes des citoyens. C'est d'abord la gestion de la vie quotidienne. Celle qui est ou est devenue insupportable pour de nombreuses familles. A savoir, situation économique de pauvreté ou de grande précarité avec ses insuffisances et ses privations, manque de logements ou habitats indignes, sentiment d'insécurité ou insécurité subie, incivilités, la liste des maux et des souffrances est fastidieuse à établir. Oui, bon, et alors ? Où veux-je en venir ?
Hier, un article de La Provence racontait la vie infernale d'un habitant du centre ville. Son voisinage immédiat ne respecte aucune règle concernant le bruit, profère de violentes menaces et prend ainsi un malin plaisir à étourdir jusqu'à l'indicible des personnes tranquilles qui souhaitent simplement pouvoir dormir et se reposer une fois rentrées chez elles.
Il se trouve que la personne qui fait l'objet de l'article m'avait contacté pour recueillir quelques conseils. Ce qui m'avait ahuri, c'était le nombre de démarches que cet homme avait déjà effectuées auprès de presque toutes les autorités pour qu'on se penche sur cette situation invivable au point de l'obliger à aller dormir ailleurs que chez lui.
Il y a peu, l'ayant rencontré un soir alors que je me promenais en ville, je lui ai demandé ce qu'il faisait avec ses baluchons en main. L'homme m'a répondu, avec beaucoup de calme et de dignité : "Pour cette nuit, une fois de plus, des amis m'ont proposé de m'héberger chez eux".
Ses tentatives de raisonner les contrevenants, ses appels à la police et ses plaintes déposées n'ayant donné aucun résultat, je lui ai alors suggéré d'alerter la presse pour mettre cette histoire sur la place publique. Ainsi a-t-il fait.
Des lois existent pour assurer l'ordre public. Le problème, c'est que, face à la multiplication des incivilités, la police n'a pas tous les moyens nécessaires pour répondre à chaque sollicitation. On peut sans doute comprendre que ce soit le cas pour de petites dérives. Mais lorsque la gêne devient aussi intempestive et permanente, l'intervention devient une priorité.
Autre exemple de comportements défiant la logique et pourrissant la vie, celui de la saleté provoquée dans les rues par manque de civisme et de respect d'autrui. Là aussi, des règles existent.
En ville, malgré des efforts constants pour améliorer la propreté, on voit encore, à toute heure du jour et de la nuit, des tas d'immondices s'accumuler sur les trottoirs. La municipalité explique dans son magazine qu'une réorganisation des services et des moyens est en cours et fait appel à un peu plus de responsabilité de la part des habitants. Comment être contre ?
Le hic, et j'en ai fait l'expérience hier même, c'est que si l'on a renforcé la collecte des encombrants au centre avec des patrouilles systématiques et régulières de bennes intervenant sans aucune prise de rendez-vous, cela a eu pour conséquence d'affaiblir la collecte dans le reste de la ville.
J'ai téléphoné hier au numéro dédié au service pour venir débarrasser un vieux sommier et un vieux matelas déposés indélicatement et lâchement dans ma résidence. Dans mon esprit, l'opération allait probablement nécessiter un petit délai, de l'ordre d'une semaine ou deux. Surprise, l'employée m'a fixé le rendez-vous du passage de la benne au 9 décembre, soit dans 24 jours ! Certes, je suis un être pétri d'une dose de patience allant bien au-delà de la bienveillance. Mais là, franchement, n'y a-t-il quelque chose d'urgent à faire pour réduire l'attente et faire disparaître au plus vite ces dépôts incongrus ?
Dernier constat du jour. Bien que n'ayant que très exceptionnellement à faire avec les commissariats, hier, j'ai eu à me rendre à l'hôtel de police. Vers 11 heures, dans le hall d'accueil, il y avait vingt personnes, que j'ai eu le temps de compter en attendant mon tour, faut bien tuer le temps.
Ce qui m'a immédiatemlent frappé, c'est, comment dire, l'allure extérieure modeste d'une très grande partie de ces gens. Des gens qui venaient là, puisqu'on surprend malgré soi des propos échangés entre certains d'entre eux, pour déclarer des incivilités, des vols, des cambriolages et tous autres événements subis comme des actes immérités ou injustifiés souvent perpétrés par surprise, des actes d'un quotidien devenu quasi ordinaire.
Là, j'ai eu l'impression de me trouver face à toute la détresse du monde comme concentrée sur quelques mètres carrés. Des policiers allaient et venaient d'un côté à l'autre, montaient ou descendaient le grand escalier en spirale, se saluaient au passage et appelaient les noms des personnes à recevoir.
L'ambiance générale était calme et n'était sans doute pas étrangère au comportement retenu de ces personnes. Pourtant, il m'a paru que certains visages fermés dissimulaient imparfaitement ici une tristesse, là une inquiétude ou encore un désespoir.
Soudain, émanant d'une pièce invisible pour le public, un bruit de coups répétés et rageux contre une porte ou un mur ont ajouté une bande sonore au scénario quasi muet des visiteurs du moment. Cette irruption - cette effraction - tapageuse de violence jusque dans le hall ne pouvait être que celle d'un individu attrapé et confiné entre quatre murs. L'intervention efficace de deux policiers a vite permis de faire cesser ce tintamarre. C'était en quelque sorte un peu comme si, par procuration, le public était soulagé des déconvenues qui l'avaient contraint à aller les relater au commissariat.
Un effet de la puissance de la loi. C'est ma conclusion.