L'effarant système Guérini : Des liens avec la pègre…
Avec un peu de patience, on finira bien par tout savoir. Quand on voit le séisme politique que Le Canard enchaîné a une fois de plus provoqué au sommet de l'Etat, il faut se réjouir que la presse aille mettre son bec dans tout ce qui barbote en eaux poisseuses.
Le Point a publié mercredi un autre dossier de cinq pages sur l'affaire Guérini. Et ça y va ! Le magazine n'hésite pas à parler de "pègre locale", de "crime organisé" et de "gangsters". La veille de la parution, son auteur, Hervé Gattegno, répondait sur RMC aux questions de Jean-Jacques Bourdin.
L'effarant système Guérini
L'enquête sur les marchés publics de l'agglomération marseillaise connaît de nouveaux développements - que vous révélez dans le Point. Elle dévoile des liens entre certains élus et la pègre locale. Pour vous, à Marseille, c'est la République qui est menacée.
Ce qui se passe dans la deuxième ville de France est particulièrement inquiétant. C'est une situation qui est plus proche des compromissions et des pratiques occultes du sud de l'Italie que des canons de l'éthique républicaine. Au départ, il y a des soupçons de malversations sur les marchés d'enlèvement des ordures et de traitement des déchets. En deux ans, l'enquête s'est élargie et Alexandre Guérini, le propre frère de Jean-Noël Guérini, le président du conseil général des Bouches-du-Rhône, l'un des hommes politiques les plus importants de cette région et le chef du PS marseillais, apparaît maintenant au centre d'un réseau qui intervenait sur de nombreuses décisions publiques dans les collectivités contrôlées par les socialistes : le département donc, et aussi la communauté urbaine de Marseille.
Donc c'est une énorme affaire de corruption. Pourquoi pensez-vous que ça va au-delà ?
Parce qu'il y a dans ce dossier des ingrédients qu'on croyait inimaginables depuis longtemps en France. D'abord, un pouvoir bâti sur la peur. Des fonctionnaires et même des élus témoignent qu'ils ont subi des pressions, des intimidations. Le président de la communauté urbaine de Marseille Eugène Caselli - qui a été placé en garde à vue au début du mois - a raconté qu'Alexandre Guérini installait un climat de menace, qu'il avait placé ses hommes aux postes clés pour intervenir sur les appels d'offres et qu'eux-mêmes avaient parfois peur pour leur sécurité. L'autre élément effarant, ce sont les connexions qui apparaissent avec le crime organisé. Avec par exemple des écoutes téléphoniques qui prouvent que des gangsters marseillais s'intéressaient aux autorisations des maisons de retraite, qui relevaient du conseil général. Et qu'on intervenait en leur faveur.
On va encore dire qu'à Marseille, ce sont des pratiques qui ont toujours existé...
Justement, c'est bien ça qui est insupportable. C'est qu'il y a dans cette affaire une sorte de validation des clichés qui déshonorent la ville. Après les grèves à répétition qui en ont fait une ville économiquement sinistrée, Marseille a besoin de tout sauf de ça. Alors c'est vrai qu'il y a eu des précédents - toujours dans le Midi : Gaston Defferre traitait avec les voyous. À Nice, Jacques Médecin s'est appuyé jusqu'à la fin des années 80 sur des réseaux semi-mafieux. Et dans le Var, après l'assassinat de la députée Yann Piat, en 1994, une opération "mains propres" avait mis hors circuit une génération d'élus compromis. Il faudrait aujourd'hui des moyens similaires à Marseille. Donc une volonté politique. Pour l'instant, on ne la voit pas. Pas assez.
Vous voulez dire que l'enquête pourrait être étouffée ?
Étouffée non, mais ralentie, entravée. Privée de moyens. Et déconsidérée par la classe politique marseillaise - à une ou deux exceptions près. C'est vrai qu'on est en pleine campagne pour les cantonales, ce qui n'arrange rien. Et que Jean-Noël Guérini joue son maintien à la tête du département des Bouches-du-Rhône, ce qui n'est pas facile quand on a un frère en prison. Il est bien sûr présumé innocent, mais dans son intérêt - et dans celui de tous les Marseillais - il faudrait que le juge puisse l'entendre rapidement. Parce qu'il n'y a rien de pire qu'une enquête qui s'arrête à mi-chemin. Il faut maintenant que l'enquête aille jusqu'au bout. Qu'on sorte des suspicions - quitte à porter de vraies accusations. Et qu'on considère désormais qu'il ne s'agit plus d'une affaire marseillaise, mais d'une exigence nationale.
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Un autre article du Point lié aux affaires marseillaises