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le Blog de Lucien-Alex@ndre CASTRONOVO
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  • Prof d'anglais retraité Sous-officier Armée de l'Air Président assos culture, éducation, social 1978-1989 Correspondant presse locale 1989-1995 Conseiller municipal liste Yves Kleniec 1983-1989 Adjoint liste Jean-François Picheral 1995-2001 Parti radical de gauche 1998-2008 Conseiller municipal liste Michel Pezet 2001-2009 Conseiller municipal liste Edouard Baldo 2014-2020 lucalexcas@aol.com
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4 mars 2007

Si la dissidence électorale augmente…

liberation

Libération a publié le 3 mars une interview de Dominique Reynié, spécialiste des grands mouvements de l'opinion publique. Interrogé par Christophe Forcari, il explique pourquoi, depuis quelques années, les électeurs refusent de voter ou choisissent le vote de perturbation, comme le fait le hacker informatique, pour bloquer le système.

Quelles sont les caractéristiques des dernières élections présidentielles ?

Probablement la combinaison d'un vote sanction systématique et de la montée de comportements électoraux critiques, dissidents. Les électeurs expriment à la fois leur mécontentement et donc sanctionnent la majorité sortante. A cette occasion, ils expriment à travers le vote une insatisfaction sur la manière dont fonctionnent la démocratie et la procédure électorale. Non seulement ils critiquent la façon dont les majorités gouvernent, mais aussi la manière dont elles sont désignées. La combinaison des deux me paraît caractéristique.

Comment se manifeste cette double critique ?

D'abord, dans la montée de l'abstention ; ensuite, dans la poussée des votes blancs ou nuls ; enfin, dans la progression du vote pour les partis extrémistes, tels le FN, le MNR, les partis trotskistes. En agrégeant ces trois types de votes, en les comptabilisant ensemble, je construis un indicateur électoral que je nomme la dissidence électorale. Ils traduisent, bien évidemment, des comportements tous différents les uns des autres mais qui présentent le point commun de traduire une relation critique avec à la fois la convention électorale et l'offre électorale. En 2002, le vote pour les extrêmes n'est plus seulement un vote protestataire mais un vote de perturbation qui a pour visée de bloquer le système. Comme si les électeurs se comportaient en hacker informatique. Un vote protestataire reste un vote d'opinion. L'électeur émet une opinion, il essaye alors de dire : «Je dis quelque chose. Ecoutez-moi !» Le vote de perturbation devient un vote actif. Il consiste à faire quelque chose pour planter le système. L'électeur suppose que même s'il prend la parole, il ne sera pas entendu.

Depuis quand les électeurs français sont-ils entrés en dissidence électorale ?

L'abstention au premier tour de la présidentielle augmente de façon notable en 1981 par rapport à 1974. L'abstention était liée à un très faible niveau d'éducation. Or celui-ci ne cesse de progresser et l'abstention croît toujours. Ce n'est pas contingent et répond à des raisons profondes qui expriment une méfiance à l'égard des changements du monde et de la société française. A partir de 1981, la France rentre dans un contexte historique marqué par les progrès du politique restrictif. Une certaine manière de gouverner en distribuant des ressources touche à son terme. Le système politique apparaît de moins en moins en capacité de répondre aux attentes, aux demandes des électeurs. Pour des raisons démographiques comme pour des raisons d'endettement croissant puis plus tard avec les critères de Maastricht, le personnel politique en France plonge dans une situation où les contraintes les rendent sinon sourds, du moins impuissants face aux revendications des électeurs. Ils ne peuvent plus répondre aux demandes de distribution de ressources. Un exemple, le désir de prendre sa retraite plus tôt, qui répond à une conception progressiste, n'est plus de mise. Aujourd'hui, les politiques disent non seulement que ce n'est plus possible mais qu'il va falloir travailler plus longtemps. Pour de nombreux électeurs, c'est au moment où les mécanismes de la sécurité sociale semblent particulièrement utiles, en raison des effets de la globalisation, que les gouvernants annoncent leur nécessaire révision, que ce n'est plus possible, qu'il va falloir tourner la page.

Les cohabitations successives ont-elles accentué ce phénomène de dissidence électorale ?

Je ferais l'hypothèse que oui. A partir de 1981, les Français ressentent ce changement d'époque et que, face aux nouveaux défis, les politiques ont de plus en plus de mal à répondre à leurs attentes. Les cohabitations agissent comme une variable institutionnelle favorisant la dissidence électorale. Un rendez-vous électoral sert à imputer clairement la responsabilité politique à l'un ou l'autre camp. Il faut qu'on puisse clairement savoir qui a la responsabilité politique de la situation. Or les cohabitations successives ont entretenu une confusion des responsabilités obérant la prise de décision électorale. Les électeurs finissent donc par envoyer le même signal aux partis de gouvernement sur le mode «on ne croit plus en vous». Soit alors l'électeur s'abstient, soit l'offre ne lui convient pas et il vote blanc, pratiquant alors une forme d'abstention civique. La prochaine élection ne se fera pas au sortir d'une cohabitation.

Cette configuration peut-elle atténuer la dissidence électorale ?

La précédente élection sans cohabitation remonte à 1981. En 2007, la situation pour les électeurs est claire. La droite gouverne et dispose de tous les leviers du pouvoir. Cet élément devrait favoriser la mobilisation en faveur de la gauche de gouvernement. Cela pourrait effectivement provoquer un reflux de la dissidence électorale. Le précédent du 21 avril 2002 peut également précipiter les citoyens vers les urnes pour éviter d'avoir à choisir au second tour entre la droite et l'extrême droite. C'est en tout cas le diagnostic qu'ont fait les deux grands partis de gouvernement. Pour ramener les électeurs vers les urnes et surtout pour les amener à voter pour eux, il y a une candidate socialiste désignée de manière ouverte et compétitive et, à l'UMP, un candidat contraint de faire des forums et de mettre en scène une forme de rénovation du parti. Les deux candidats représentent également une nouvelle génération. Cela peut aussi constituer une réponse à la dissidence électorale. Ils manient également volontiers une rhétorique populiste à même de réduire cette dissidence électorale en remettant régulièrement en cause le fonctionnement du système. Le discours sécuritaire de Sarkozy, la proposition du jury citoyen de Royal sont des exemples caractéristiques de cette forme de populisme. Mais François Bayrou surfe, lui aussi, sur cette vague quand il dénonce le complot médiatique et la collusion UMP-PS.

Mais ce populisme peut aussi avoir l'effet inverse et renforcer cette dissidence électorale...

Le risque est réel. La configuration de l'élection de 2007 est inédite, en termes de candidats, de générations, de registres de langage. Cette offre politique renouvelée peut constituer une réponse à la dissidence électorale, qui ne peut plus augmenter sans ébranler le système. Elle peut également sonner le triomphe de Jean-Marie Le Pen, accusé pendant des années de tenir un langage populiste et qui voit aujourd'hui les autres candidats s'aligner sur un registre comparable. Le niveau de séduction exercée par les idées de Le Pen se situe dans les eaux hautes de la période de cohabitation. Son premier succès, c'est 1988. Si en 2007, le vote Le Pen se maintient à un haut niveau, même s'il ne parvient pas au second tour, alors qu'il n'y a pas eu de cohabitation, il faudra penser que les causes du vote FN sont bien plus profondes. La dissidence électorale érode, au final, la légitimité du gagnant... En 2002, la dissidence représentait plus de 51 % des inscrits, contre 19,4 % en 1974... Les gagnants se partagent donc 49 % des suffrages. Au final, celui qui est élu n'a rassemblé que 10 % ou 15 % des inscrits au premier tour. 2002 n'est pas un accident. Déjà, lors des législatives de 1997, la dissidence électorale rassemblait plus de la moitié des inscrits, avec 52,4 %. Le record de dissidence électorale s'établit aux législatives de juin 2002 avec 55,8 % des inscrits. Donc après le 21 avril 2002, qui pouvait laisser supposer un sursaut électoral. Evidemment, dans la dissidence électorale, l'abstention domine. Mais, au premier tour de la présidentielle, l'abstention comptait pour le quart de la dissidence électorale en 1981 pour seulement un peu plus de la moitié en 2002. Ce qui fait que la dissidence électorale a augmenté depuis 1988 à chaque élection, c'est d'abord le vote pour l'extrême droite. C'est ensuite le vote pour l'extrême gauche, avec un record en 2002.

Si les électeurs jugent que le système politique n'est plus en mesure d'améliorer leur existence, ils se retirent du jeu, via l'abstention, ou en critiquent le fonctionnement, via le blanc ou les votes protestataires. Pour certains, c'est un renoncement. Les électeurs considèrent que le vote n'est pas en mesure de déterminer la politique appliquée au pays. La dissidence électorale constitue la première étape d'une crise plus grave. Elle ne constitue pas le stade suprême de la crise. Elle s'exprime au coeur d'un système régulé par l'élection avec une proportion croissante de scepticisme. Mais l'ensemble du système s'ordonne toujours autour de l'élection. L'étape suivante serait que cette dissidence s'exprime en dehors du champ électoral. Aujourd'hui, tout continue encore à se jouer autour de l'élection présidentielle, qui est mise en scène comme notre élection reine.

Qui sont ces dissidents ?

Ce n'est pas homogène. Le profil diffère suivant les types de dissidence. Le profil des dissidents qui votent pour l'extrême gauche est très différent du profil de ceux qui votent pour l'extrême droite. En terme de masse, abstentionnistes et électeurs d'extrême droite viennent avant tout des couches populaires. Ce sont les principaux pourvoyeurs de la dissidence électorale.

L'intégration dans l'Union européenne, qui donne l'impression que les décisions sont prises ailleurs, a-t-elle accéléré ce phénomène ?

Le discours sur la montée en puissance de l'Union européenne, perçue comme un pouvoir supranational sur lequel on agit peu, couplé au discours sur la globalisation, phénomène transnational sur lequel les électeurs ne peuvent peser, préoccupent les esprits depuis les années 90 avec Maastricht, l'effondrement du communisme et l'universalisation du marché. C'est un changement d'horizon radical, un nouvel arrière-plan extrêmement déterminant. Mais il faut se demander comment cela se passe dans les autres pays européens qui sont soumis aux mêmes contraintes. Certains connaissent les mêmes phénomènes de dissidence électorale avec la même force et parfois même plus encore. La Pologne est le pays le plus proche de la France et, de manière générale, toutes les anciennes démocraties populaires qui cumulent des taux d'abstentions élevés et un haut niveau de votes protestataires. Cela dit, avec les scores importants réalisés par le Vlaams Belang, la Belgique tomberait dans la dissidence s'il n'y avait pas dans ce pays le vote obligatoire. Mais la comparaison avec les autres pays européens est compliquée. Le système politique le plus exposé au scepticisme des électeurs constatant l'européanisation compliquée et la mondialisation inquiétante est celui où l'on prétend à la fin confier le pouvoir à une personne et une seule. Peut-être, aux yeux des électeurs, l'élection présidentielle pose-t-elle un problème spécifique dans notre nouveau monde.

Est-ce qu'elle ne porte pas une promesse invraisemblable ?

Elle demande à l'électeur de croire à la puissance providentielle. Aujourd'hui, cette croyance s'affaisse. L'électeur ne croit plus que sa vie puisse s'améliorer par la grâce d'un chef. A fortiori dans ce monde où émergent de nouvelles économies. Les citoyens n'imaginent pas qu'un homme, fut-il Président, sera en mesure de contrer ces phénomènes planétaires.

Quel est le stade ultime de la dissidence électorale ?

Lorsque la crise s'exprimera en dehors du champ politique conventionnel. Selon l'Insee, trois millions de personnes ne sont pas inscrites sur les listes électorales. Trois millions d'électeurs ne peuvent même pas être invités aux rendez-vous électoraux. C'est une masse énorme. Certaines estimations laissent même penser que ce chiffre pourrait être plus important. Ce n'est même plus du silence. Toutes ces personnes sont électoralement invisibles. Des jeunes, des ouvriers, des employés, des urbains, des hyperurbains appartiennent à cette foule des invisibles. Or l'inexistence civique concerne surtout les catégories qui ont le plus de problèmes. Du coup, leur non inscription réduit l'importance de leurs problèmes aux yeux des politiques. Leurs difficultés, leurs malaises apparaissent d'autant moins dans le champ politique que ces Français ne sont même pas membres du club électoral. La preuve, dans notre société suradministrée et passionnée de statistiques, on ne connaît même pas leur nombre !

Professeur à Sciences-Po, chercheur au Centre d'étude de la vie politique française, Dominique Reynié dirige également l'Observatoire européen des élections à la Fondation Robert-Schuman. Spécialiste des grands mouvements de l'opinion publique, il a notamment publié, en 2004, la "Fracture européenne. Naissance d'une opinion européenne" (éditions de la Table Ronde) et a dirigé un ouvrage collectif, "l'Extrême Gauche, moribonde ou renaissante ?" (PUF, collection "Quadrige").

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